CES DEUX LIVRES SONT DISPONIBLES SUR LE SITE DE L'HARMATTAN
Ci joint un lien pour une vidéo faite à l'Harmattan sur le livre de Jean Pierre Weyland "L'imparfait du subjectif" http://www.youtube.com/watch?v=qtbzozI-coI
Ci joint un lien pour une vidéo faite à l'Harmattan sur le livre de Jean Pierre Weyland "Je voulais vous dire que je n'ai pas été sourd" http://www.youtube.com/watch?v=_bXgbJ1LDCMschl
Ci dessous la préface écrite par Alex Lainé de "je voulais vous dire que je n'ai pas été sourd"
PREFACE
DES SUJETS EN FORMATION
Des sujets en formation au double sens de femmes et d’hommes – formateurs inclus - qui s’inscrivent dans un dispositif de formation, et en même temps – car ce n’est pas séparable – se constituent en tant que sujets davantage conscients de ce qu’ils sont et ainsi, deviennent un peu plus en mesure d’infléchir le cours de leur vie. Car on ne naît pas – ou pas entièrement – sujet, on le devient.
C’est de tout cela dont il est question dans le livre de Jean-Pierre Weyland. Et ce n’est pas rien.
Le texte que l’on va lire s’inscrit dans le genre du récit de vie : récit autobiographique de son auteur, fragments de récits de parcours de stagiaires dont il a été le formateur. Dans tous les cas il y a « pacte autobiographique » comme le dit Philippe Lejeune, c’est-à-dire identité entre l’auteur, le narrateur et le personnage central ou « héros » dont l’histoire est rapportée – avec sans doute une nuance à faire pour les quelques textes qui relatent les propos et parcours de certains parmi les apprenants aux côtés desquels l’auteur a cheminé. De ce point de vue, on doit parler de co-écriture et de co-auteur puisque ces textes ont été rédigés tantôt par les apprenants eux-mêmes, tantôt par Jean-Pierre Weyland, mais toujours publiés avec l’accord de celle ou celui dont ils disent le fragment de parcours. Des récits de vie à plusieurs voix, par conséquent.
Par ailleurs, on peut débattre à l’infini de la question de savoir s’il s’agit de récits de vie ou de récits de pratiques de formation professionnelle. Le livre montre une fois de plus que la question est sans objet tant la vie et la pratique professionnelle ou de formation sont inséparablement entrelacées dans ce qui constitue la tension du sujet vers une unité jamais définitivement acquise, toujours à conquérir.
Il y a donc du récit de vie, mais aussi du « roman d’apprentissage ou roman de formation » entendu comme la narration du parcours d’un personnage – ici ce sont plusieurs personnages dont l’auteur lui même – qui apprend, se forme, se développe et de proche en proche s’autorise une parole propre, jusqu’à être en plus grande adéquation avec soi-même.
Une première caractéristique et qualité du livre de Jean-Pierre Weyland s’offre, étonne mais aussi séduit immédiatement : son style. On sait que « le style est l’homme même » comme l’écrivait Buffon. Dans son écriture, l’auteur n’a pas systématiquement recours au pronom personnel, au « je » de la narration autobiographique. Dans bien des cas, il utilise la forme impersonnelle et une quasi absence de sujet grammatical pour énoncer ce qu’il ressent, fait et pense. Cela frappe dès les premières pages. En voici un exemple à propos de son parcours :
Tombé très jeune dans la marmite de l’animation. Un grand jeu de brousse. Pris dans la sauce. Tourné en rôti. Amusant. Essentiel. C’est chaud et goûteux. Gluant et relevé. Légèrement appétissant. De quoi nourrir une vie. En parallèle : écrire, mettre en scène et grimper sur les tréteaux. Au-dessus.
Cette manière qui fait dans la brièveté donne sa puissance au récit. Plus encore et curieusement, le sujet agissant, pensant, éprouvant et vivant, parce qu’il est là en creux, en supposé ou en implicite, est en réalité d’autant plus présent. Car cette manière de dire fait directement entrer le lecteur dans l’intimité du dialogue intérieur entre soi et soi qui n’est rien de moins que la subjectivité en acte à travers l’une de ses composantes essentielles : la réflexion.
La seconde caractéristique qui retient l’attention du lecteur relève du travail. Du travail et de deux métiers. Des métiers méconnus et fort peu reconnus : animateur socioculturel et formateur d’adultes. Car il s’agit de formation professionnelle « aux fonctions de l’animation » : d’abord animateur lui-même, Jean-Pierre Weyland devient formateur d’animateurs. Ce que ces deux métiers ont en commun, c’est d’abord leur manque de transparence et de définition claire. On ne sait pas très bien ce qu’ils recouvrent. Le second point de partage entre les deux métiers tient au déni de reconnaissance et de légitimité. L’un comme l’autre ont à voir avec la chose pédagogique et, pour cette raison, souffrent de la concurrence avec l’institution qui, justement, prétend détenir la seule légitimité en matière de pédagogie et d’enseignement : l’Éducation nationale. Tentation du monopole.
J’ai exercé le métier de Jean-Pierre Weyland et je me souviens d’un « stagiaire » en formation préparatoire au diplôme dont il parle qui, au cours d’une démarche de récit de vie, déclarait : « Quand mes parents m’ont demandé ce que je faisais puisque je leur disais que désormais, je gagnais ma vie, j’ai répondu "animateur socioculturel". Ils ont dit alors : "Oui, d’accord, mais comme métier ?" » Tout est dit en termes de méconnaissance et de déni de reconnaissance.
Je veux souligner un autre élément qui tient à la fois à la question du sujet et à celle de la formation. Le texte de Jean-Pierre Weyland ne passe pas à côté de ce qui constitue l’un des fondements sur lequel repose cet édifice fragile dont l’équilibre tient du miracle, qu’est un groupe en formation : tout ce qui touche aux affects, au désir et à la peur. Désir et peur d’apprendre, désir et peur de s’affirmer, de prendre le beau risque de la parole, jusqu’à cet étrange désir du formateur de créer, façonner les femmes et les hommes qu’il forme, c’est-à-dire désir d’enfantement. De tout cela, le livre nous entretient jusqu’à en montrer les effets en termes d’imaginaire de toute-puissance du formateur.
Il ne nous en cache pas pour autant - et aussi bien du côté des apprenants que du formateur - les doutes, les échecs, les moments de souffrance, les efforts et le vrai boulot que cela demande. Il nous donne aussi accès à la joie, au « gai savoir », à l’exaltation de ces moments où l’on découvre que l’on a grandi, au légitime sentiment de fierté d’avoir fait « du bon et beau boulot. » Il faut entendre ce jugement de valeur de trois points de vue complémentaires : efficacité, éthique et esthétique.
Enfin, je ne saurais passer sous silence la perspective « social-historique » - pour reprendre une formulation de Castoriadis – qui est celle que Jean-Pierre Weyland porte sur les histoires de vie – y compris sur la sienne. Aucun parcours de vie ne se déroule dans un vide social-historique. Tout au contraire, il est toujours tissé, tramé de valeurs collectives transmises, héritées. La « petite » histoire de chacun est traversée par la « grande », celle qui s’écrit avec un H majuscule. « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. » Jean-Pierre Weyland cite cette juste formule de Marx. Il la cite et ne la perd jamais de vue lorsqu’il pense sa propre histoire et celle des autres. Pour autant, il a cet optimisme du militant d’éducation populaire qui sait que les jeux ne sont jamais définitivement faits. Et heureusement. Le changement est possible. Mais il a pour condition nécessaire (bien que non suffisante) la prise de conscience par les sujets de ce qui les déterminent ou du moins, les influencent. De ce point de vue, l’auteur n’a pas lui non plus été sourd à la parole sartrienne qu’il a lue très tôt à travers « Les mots ». Il est resté fidèle à ce que Sartre – dont on omet souvent de rappeler qu’il portait un fort intérêt théorique et pratique aux biographies et parcours de vie – écrivait en ces termes : « L'important n'est pas ce qu'on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu'on a fait de nous. » Le récit de vie a cette fonction de mise au jour de ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes et pas autre chose. Mise au jour et mise en mots, les deux sont inséparables. C’est ce que rappelle cet échange que Jean-Pierre Weyland relate et qui vient de Freud : une petite fille demande à sa tante de lui parler la nuit, alors qu’elle est dans son lit, pour avoir moins peur. L’adulte lui demande pourquoi puisque cela ne fait pas reculer l’obscurité. L’enfant répond : « Quand quelqu’un parle, il fait jour. »
C’est de cette parole là que le livre que l’on va lire est fait.
Alex Lainé, 13 juillet 2012
Docteur ès lettres, membre de l'Institut international de sociologie clinique